Les Feings et Feignes de La Bresse

Lors de la période de confinement sanitaire en 2020, nous vous avions proposé un petit tour dans les prés de La Bresse, autant de lieux-dits dédiés aux anciens bressauds, à leurs habitations, à leur mode de vie.
Reprenant le fil, nous vous proposons dans les mois qui viennent de faire un petit tour parmi les lieux-dits figurant au cadastre napoléonien de 1835, encore empreint du mode de vie agro-pastoral des anciens bressauds. Nous commençons aujourd’hui par les feings et feignes de La Bresse, qui ont pris ces derniers jours leur manteau d’hiver..

De nos jours, on n’utilise plus guère que le vocable « feigne » pour désigner tous les lieux plus ou moins humides du territoire bressaud, qu’il s’agisse de prés fauchés ou pâturés, de marécages, de tourbières. Il n’en a pas toujours été ainsi, et nos ancêtres que leur activité agro-pastorale rendait beaucoup plus proches de la nature, savaient faire la différence entre un feing (ou faing) et une feigne (ou faigne). La différence est suffisamment marquée au cadastre napoléonien de 1835, auquel il est fait référence pour tous les noms de lieux-dits cités au présent article

Cette différence entre « feing » et « faing » est attestée par les érudits locaux dans leurs ouvrages respectifs : C.A FOURNIER (« les noms de lieux des Vosges » – dans les annales de la Société d’Emulation du département des Vosges – 1897) – Marc GEORGEL (« les noms de lieux-dits de l’arrondissement de Remiremont » – 1966) – Chanoine J. HINGRE (« Dictionnaire du Patois de La Bresse » – 1892). Si Hingre et Fournier passent assez vite sur la distinction, Georgel est beaucoup plus précis et affirmatif :

Alors que les feings (aussi orthographiés faings) sont des « prés humides, mais où le foin abonde et où il est de qualité, souvent faciles à exploiter et d’accès aisé, et jouissant d’une bonne exposition »
Les feignes ou faignes gardent bien le sens de milieux marécageux, tourbeux, agrémentés de « pétus » (= trous d’eau), et qui ne sont pas nécessairement exploités.

On distinguera donc le feing ou faing (nom masculin au sens de pré de bon rapport) et la feigne ou faigne (nom féminin désignant marécages et tourbières).

Dans la première catégorie, on trouvera donc au Brabant le Besonfaing (le petit pré) ; sur le versant d’en face on trouvera la Basse des Feings (le vallon des prés) ; dans la vallée du Chajoux, enserrés entre d’anciennes moraines vers le Pont Metty, le Faing Bologne (le pré du bouleau) et le Feing du chanvre (où l’on récoltait cette plante pour les fibres de sa tige ligneuse), et un plus en amont, à l’emplacement actuel du lac de barrage, le Faing de la Tenine  (essarts attachés à la ferme de la Tenine – photo aérienne de juillet 1935) ; au-dessus du Village on trouvera le Faing Canteuche (le pré de la chouette, animal ou sobriquet d’un(e) habitant(e) du lieu). On remarquera que ces endroits, pas spécialement marécageux et généralement bien exposés correspondent à la définition qu’en donne Georgel.

Dans la deuxième catégorie, on rangera les tourbières désormais répertoriées et protégées comme telles pour la particularité de leur flore et de leur faune, et aussi pour l’archivage pollinique sur plus de 10.000 ans qu’elles renferment. Les Feignes de Grande Basse, suite de clairières où serpentent les pistes de ski de fond en amont du Lac de Lispach, la Feigne du Bas Chitelet au pied du Hohneck, les Feignes du Régit, clairières tourbeuses entre les cirques de Machais et de Blanchemer, les Feignes des Champis et la Rouge Feigne, respectivement au nord et à l’est de la chaume du même nom, la Feigne de La Lande aujourd’hui noyée sous le lac de barrage qui a pris son nom, la Feigne de Machais au pied du Rainkopf.

Bien que réputées « milieux acides », à la végétation plutôt ligneuse et au fourrage de moindre qualité pour le bétail, ces feignes étaient autrefois fauchées par les marcaires qui y trouvaient un complément aux récoltes de foin. C’est peut-être en partie pour cela que ces feignes sont encore aujourd’hui des clairières que la forêt n’a pas encore colonisées.

 Entre ces deux catégories, on rangera quelques feignes qui ont pris à certaines époques, sans doute à force de drainage par rigoles appropriées, le caractère de feings, et où figuraient des exploitations agricoles de taille respectable (pour l’époque) : la feigne du Bas Chitelet (de l’alsacien schlichteli = petit ravin), cotée à la fin du 16ème siècle à 1 giste (soit 40 bêtes d’estive) et exploitée par les marcaires alsaciens venus du Val st Grégoire (vallée de Munster) ; et les Feignes-sous-Vologne où le cadastre de 1835 situe trois fermes dont les ruines sont encore partiellement visibles dans la végétation.

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